En direct de Bourges (2)

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Photo: Emily Loizeau
 

 

  • Superposer les concerts les uns par dessus les autres comporte des risques. L’un d’entre eux est de décrocher et de se laisser aller à des divagations spirituelles parfois bien éloignées de ce qui se passe sur scène. Exemple ce Jeudi avec cette interrogation inspirée par la présence de nombreux badges verts, jaunes ou bleus autour des cous: y’a t-il une corrélation entre le nombre d’accrédités présents à un concert et la qualité du dit concert ? La théorie se nourrit avant tout d’observations et dans le cas présent, la piètre qualité du plateau électro proposé au 22 ce Jeudi soir pourrait laisser émettre l’hypothèse que la qualité d’un concert est inversement proportionnelle au nombre d’accrédités qui y assistent. Pas de conclusions hâtives néanmoins, au stade actuel de la réflexion, les observations sont trop peu nombreuses pour donner du crédit à cette hypothèse. Ouf.
  • Coup d’oeil aux journaux locaux pour savoir de quoi il ne faudra surtout pas parler aujourd’hui: Anaïs a, paraît-il, fait «chavirer »  le Phénix et ça tombe bien parce qu’on s’en fout. Souci d’honnêteté: le plateau proposé hier soir au Phénix était néanmoins intéressant et l’auteur de ces lignes regrette par exemple de ne pas avoir pu jeter un coup d’oreille aux prestations d’Arthur H (qui s’est fendu d’un hommage à Bashung en reprenant « la nuit je mens ») et d’Ayo. Il rappelle néanmoins qu’il n’est qu’un et que tant qu’il ne sera qu’un, il lui sera difficile de se couper en huit pour assister à tout ce qui est proposé.
  • Pendant donc qu’Anaïs faisait « chavirer » le Phénix, une création au casting alléchant était présentée à la cathédrale: une relecture électronique de grandes oeuvres de la musique classique par Iko, Murcof, Para One et Emilie Simon. Si cette dernière n’était pas présente, les trois autres étaient bien là secondés par des choeurs et un orchestre. S’ajoutait également à ce casting Rosemary Standley (chanteuse de Moriarty) dont la voix venait compléter les partitions musicales proposées.
    Résultat fascinant: à l’aura mystique de l’endroit (la cathédrale de Bourges) répond la volonté des musiciens présents de proposer un juste équilibre entre classique et électronica. Au petit jeu de « l’électronicien dont les arrangements déboîtent le plus », c’est sûrement le mexicain Murcof qui l’a emporté. Ni trop timide, ni trop présent; il a offert les arrangements les plus intéressants. Exemple avec le point d’orgue de la rencontre: sa relecture du Amor de Monteverdi avec l’orchestre et la voix de Rosemary Standley.

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  • Pendant ce temps, le Théatre Jacques Coeur a ouvert ses portes. Emily Loizeau y a élu domicile pour la semaine, elle est ce soir précédée des Coming Soon. Très bon choix qui donne l’occasion de découvrir le groupe sur scène: 6 musiciens (dont le plus jeune est âgé de 15 ans) échangent les instruments et les micros pour proposer une balade country/rock/folk qui sent bon la merguez et les grands espaces. La petite troupe est emmenée par Howard Hugues, doyen de la bande et leader naturel du groupe dont Ian Curtis aurait sûrement fait l’un de ses fils spirituels s’il avait vécu plus longtemps et avait choisi de partir régler ses problèmes chez des potes vivant au far west. Il émane du groupe une sincérité et un naturel touchant: entre timidité et envie de s’appliquer, les six impressionnent par la cohérence et la maturité de leur répertoire. Certains morceaux semblent bien plus âgés qu’eux et ce qui pour certains styles musicaux pourrait être handicapant se révèle pour le leur essentiel: c’est un voyage à travers le temps et dans l’Amérique d’antan qu’ils nous proposent. La prestation dure environ une heure et se termine a cappella. La soirée est parfaitement lancée.

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    Photo: Coming Soon

  • Emily Loizeau, accompagnée de ses quatre musiciens, leur succède. Son second album, sorti il y a quelques mois, se posait à rebours du précédent. S’il y était toujours question de deuil, l’artiste marquait sa volonté d’en sortir par les textes et par les arrangements: moins repliée sur son piano, elle emplissait l’espace sonore de mélodies et d’instruments plus exotiques. La métamorphose est encore plus flagrante sur scène. Emily Loizeau se fait tour à tour espiègle ou douce; féline ou mélancolique. Les musiciens magnifient les partitions de l’album: folk, jazz, gospel, arrangements tantôt minimalistes tantôt exubérants; c’est un grand éventail de musicalités qu’ils déclinent toujours avec justesse. On sent également que quelque chose lie ces personnes sur scène: l’humour et la complicité sont omniprésents (pendant les morceaux et entre les morceaux). On décernera à cet égard au guitariste (par ailleurs excellent chanteur) le prix du trait d’humour (provisoire) du festival, l’auteur de ces lignes n’ayant pu réprimer un fou rire pour sa soudaine conversion à la langue allemande. Si remise de prix il y a, on en profitera également pour récompenser Emily Loizeau qui, tout au long du concert, a rafraîchi le public de ses interventions.
    Interventions qui, entre les lignes, citent l’humour froid et absurde de Mathieu Boogaerts. Il paraissait alors plus que normal que celui-ci vienne faire un petit coucou sur scène sur un des morceaux d’Emily. De la même façon, Arthur H (que je n’aurai donc pas tout à fait raté) et les Coming Soon (qui admettront au passage une légère ébriété) viendront entourer Emily et ses musiciens le temps d’un morceau. Presque deux heures de concert et un rappel. Sans micro, en comité réduit et assis au bord de la scène, Emily Loizeau joue deux morceaux dont l’hilarant « Jasseron ». Le rideau retombe, le théatre Jacques Coeur vient de nous offrir une bien belle soirée.

     

  • Difficile de repartir. Le 22 propose une sélection de découvertes estampillées électro et cela semble bien fade après tout ça. Errance spirituelle et regard déviant qui donnent lieu à l’interrogation dont il est question en début d’article. Les jours qui viennent permettront sûrement de valider ou de rejeter l’hypothèse émise…

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    Photo: Emily Loizeau et ses musiciens au théâtre Jacques Coeur.